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Fernando Pessoa
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Fernando Pessoa
Dactylographie
Comme je t'envie, ami! A ta foi
solidement ancré, tu vis en paix
avec les hommes et les dieux. Tu discours tu écris
aisément, conformément à la volonté
de ton maître. En échange, il te donne
du pain et comme sa chose, il te caresse.
On ne pointe pas d'arme contre toi ; ton sourire
écarte toute menace. Et tu passes,
parmi les hommes et les évenements, presque indemne.
umberto saba:"le poète et le conformiste"
Tout ce que l'on a pas saisi, pas entendu, tout ce que l'on a négligé, tous les êtres regardés distraitement, les moments
vécus sans y être, les gestes réprimés, les mots contenus, la vérité mise au placard, tout cela un jour se dresse devant
nous comme une montagne. Mon inquiétude devant Anielka est la rançon de tout ce que j'ai été et de tout ce que je
n'ai pas su être, la sanction des offensives et des dérobades, la désignation des limites acceptées ou franchies, le solde
de mes curiosités et de mes indolences, de mes émois et de mes dédains, de mes intelligences et de mes
aveuglements. C'est tout ce que j'ai à donner, à chercher, à espérer dans la vie ; c'est aussi ma destruction, le rien qui
m'envahit, la dispersion de ma cendre.
françois Taillandier:"Anielka"(extrait)
[...] Nous avons tous deux vies :
La vraie qui est celle que nous avons rêvée dans notre enfance,
et que nous continuons à rêver, adultes, sur un fond de brouillard ;
La fausse, qui est celle que nous vivons dans le commerce des autres,
Celle qui est pratique et utile,
Celle ou nous finissons dans un cercueil.
Dans l'autre, il n'y a ni cercueil ni morts,
Il n'y a que les images de l'enfance :
De grand album coloriés qu'on ne lit pas mais que l'on regarde,
De grande pages en couleurs que l'on se rappelle plus tard.
Dans l'autre nous sommes nous-mêmes,
Dans l'autre nous vivons ;
Dans celle-ci nous mourons, car mourir est le sens de la vie ;
En ce moment la nausée me fait vivre dans l'autre...
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